Jean Pierre Garuet

Pilier Gauche (Numéro 1)
jeudi 13 mars 2008
par  Stango
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En expert de la mêlée et du haut de ses 42 sélections (de 1983 à 1990) en Bleu, Jean-Pierre Garuet, nous fait savourer les ingrédients qui composent un pilier d’excellence.

« Le pilier reste l’homme de base de la mêlée »

« Même avec des règles qui ont changé, le pilier est resté l’homme de base de la mêlée. Plus encore, le moral de l’équipe tout entière peut dépendre de ce que ses piliers réalisent dès les premiers impacts en maul. Comme on disait, le rugby commence devant et finit derrière. On n’a jamais vu de grandes équipes sans une mêlée forte. Evidemment, les piliers d’aujourd’hui doivent se déplacer plus rapidement et faire parfois cinq fois plus de plaquages qu’il y a vingt ans, à mon époque. Mais ils restent des courageux, des hommes qui savent ce que la souffrance veut dire.

La première mêlée était et reste primordiale. Tout ou presque se joue là-dessus. On s’étalonne à cet instant avec l’adversaire, qu’on le connaisse ou pas. Moi, en tout cas, je me préparais physiquement et aussi mentalement plusieurs jours à l’avance, en sélection plus particulièrement car nous n’avions pas beaucoup d’entraînements avant les matches. Je savais que si je manquais ce premier impact, le doute pouvait s’installer au sein de toute l’équipe. Il ne fallait à aucun prix que la première ligne se loupe.

Je le dis sans forfanterie mais il m’est rarement arrivé d’être complètement dominé par le pilier d’en face. Tout simplement parce que je faisais tout pour l’éviter. Jusqu’au vice, je l’avoue. Avec le métier, on arrivait à être un peu coquins. A imposer à l’opposant certaines positions, en travers ou en semi-flexion par exemple, qui le gênaient, l’emmenaient vers le bas ou vers l’extérieur et l’empêchaient de donner toute sa puissance. Il y a un arsenal de techniques qui permettent de mettre l’adversaire en difficulté. Si l’une ne marchait pas, on usait d’une autre dans le regroupement suivant jusqu’à ce que cela marche.

« Aujourd’hui, tout se joue dès le premier coup de bélier »

Les nouvelles règles d’entrée en mêlée ont provoqué des changements considérables. Maintenant, après le commandement de l’arbitre, l’effort dure cinq à huit secondes au maximum alors qu’il allait jusqu’à une minute auparavant. On avait donc le temps de "travailler" son pilier, de lui titiller les épaules, de l’épuiser en quelque sorte. Mais on en sortait fourbu et, croyez-moi, si l’on n’était pas "gaillard", les forces manquaient pour finir le match. Aujourd’hui, la différence se fait beaucoup plus à l’impact, avec les risques d’ailleurs que cela comporte au niveau des cervicales. Car il faut pratiquement tout jouer sur ce premier coup de bélier, sur ce premier tir sur cible, si l’on peut effectuer cette comparaison.

J’insiste aussi sur la cohésion des huit joueurs de l’avant. Le travail collectif est fondamental pour perfectionner la puissance du pack. J’ai été souvent étonné, je dois le dire, de voir l’équipe de France se préparer sans ses piliers. Il faut être très pointu, très précis, pour que la force des huit hommes ne se perde pas par de mauvais placements. C’est encore plus vrai aujourd’hui en raison du temps réduit des mêlées fermées. Les All Blacks l’ont très bien compris. Ils se préparent depuis deux ans avec deux piliers comme Woodcock et Hayman, qui sont passés maîtres dans l’art de diriger la manoeuvre pendant toute une rencontre après avoir pris tout de suite le dessus. Leur taille (respectivement 1,85 m et 1,93 m), est de surcroît un paramètre perturbateur pour leurs adversaires.

J’ai beaucoup de respect pour ce qu’a fait Robert Paparemborde à ce poste. Il incarnait une mêlée française souveraine. Les Argentins possédaient aussi un huit de devant remarquable qui embarrassait tout le monde. Certaines équipes ont perdu le titre mondial, à mon avis, en raison seulement de petites carences en mêlée. Comme l’Australie face à l’Angleterre en 2003. Pour ce qui est de la Coupe du monde qui vient, le forfait de Marconnet est un coup dur. Mais nous possédons des gars comme Olivier Milloud, Nicolas Mas, Jean-Baptiste Poux et l’expérimenté Pieter De Villiers, que je connais tous très bien et que j’ai d’ailleurs dirigés quand je m’occupais des moins de 21 ans, qui forment un groupe de piliers formidable. Quand je vois comment la première ligne française s’est rétablie en une semaine lors des deux tests d’août face à l’Angleterre, je suis vraiment ravi et je ne peux qu’être confiant dans la capacité de ces garçons à gérer leur compétition de la meilleure des manières. »


Par Philippe VERNEAUX (L’équipe.fr)


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