Sylvain Marconnet

Pilier Droit (Numéro 3)
mercredi 25 mars 2009
par  Stango
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Sylvain Marconnet, le pilier le plus capé de l’histoire, nous décrit son poste. Où il est question de poussée, et surtout de souffrance.

« A droite, il est là le poste de pilier tel que je l’entends »

« Le pilier est un des postes qui a le plus évolué depuis l’apparition du professionnalisme, mais la base du métier reste la même. Je parle souvent avec de grands anciens comme Garuet, Ondarts, ou d’autres, nous sommes tous d’accord sur l’idée que l’essence du poste est d’avancer en mêlée et de faire souffrir l’adversaire. La technique du pilier ne change pas. C’est le jeu autour qui s’est développé. Il faut désormais davantage se déplacer et plaquer. Mais il ne faut pas tout confondre. Pourquoi a-t-on du mal à trouver de bons piliers en France aujourd’hui ? Peut-être parce qu’on se trompe dans ce qu’on leur demande. On les pousse à travailler des qualités qui ne sont pas fondamentalement celles d’un pilier. Un pilier sera toujours jugé sur sa tenue en mêlée. Un joueur aura beau courir comme aucun autre, il ne jouera jamais s’il se fait cabosser en mêlée. C’est une certitude. Moi, ce qui me plaît, c’est l’essence du poste.

Jouer pilier droit ou pilier gauche nécessite une adaptation technique qui n’est pas forcément évidente. A gauche, on ne pousse que sur un adversaire. A droite, on pousse sur deux joueurs et on subit deux poussées différentes. Le pilier droit est plus ’’pris’’ dans la mêlée. Il la cale. Il est là, le poste de pilier tel que je l’entends. C’est moins exigeant à gauche, où il y aura en revanche plus de courses. A droite, il faut aimer la mêlée, aimer souffrir et faire souffrir l’autre. Parler de technique m’est difficile. Ça ne dira rien à quelqu’un qui n’a jamais poussé en mêlée. Baisser cette épaule, relever la tête, changer l’appui pour rentrer l’adversaire : ça sonnera creux pour un néophyte. En revanche, si j’en parle avec un pilier, en trois mots, on se sera compris. C’est un langage codé. On ne fait pas de longues phrases, on se comprend rapidement, parfois même sans se parler. Le pilier a la caractéristique d’être discret. L’exposition médiatique, le strass, les paillettes, ce n’est pas notre truc et ça ne me pose aucun problème. On aime souffrir pendant 80 minutes, se retrouver ensemble autour d’un comptoir et ça suffit à notre bonheur. Nous sommes des épicuriens. On aime bien vivre, se mettre autour de bonnes tables et se raconter des histoires.

« Les secondes avant l’impact ont beaucoup d’importance »

« Une fois dans la mêlée, on ressent des poussées, 700 kilos derrière et 800 kilos devant. On reçoit toutes les pressions dans le dos, entre les épaules et les fesses. Nous sommes entraînés pour que ce ne soit pas de la douleur, mais de la sensation. Il faut pouvoir la dépasser. C’est du feeling. On entend le son de gars qui se rentrent dedans, on s’y habitue. On ne sait pas toujours où se trouve le ballon ; on sait surtout vers où on doit avancer. On a tendance à dire que le patron de la mêlée est le talonneur (n°2). La vérité, c’est qu’il est responsable de tout ce qui relève de la liaison, avant l’impact. Quand c’est parti, il est dans la même ’’mouise’’ que nous. Il n’a plus d’air pour parler et il pousse tellement que le cerveau n’est plus irrigué. Ce sont plus le 8 et le 9 qui commandent les opérations. Les secondes avant l’impact ont beaucoup d’importance. Les regards se croisent, on cherche celui de l’adversaire. On sent quand on l’intimide. La première mêlée est aussi très importante. Un pilier est anxieux jusqu’à ce moment-là. C’est notre fierté, notre truc. On ne se pardonne jamais de se faire défoncer en mêlée.

Je suis de nature un peu kamikaze et je pense qu’il faut être un peu tête brûlée pour jouer à ce poste. On s’y construit dans la souffrance. Il y a de moins en moins de monde qui aime souffrir, ou qui accepte de souffrir. Est-ce que je fais un métier à risques ? Oui, même si je pensais que c’était le ski qui était un métier à risque (NDLR, Sylvain Marconnet a subi une fracture tibia-péroné en mars aux sports d’hiver, une nouvelle qui a entraîné des commentaires acides sur sa responsabilité). Peu après ma blessure, ces sensations m’ont manqué. Quand j’ai repris les séances en salle, musculation et cardio-training, j’ai souffert à nouveau. Ça m’a fait du bien. J’y vais avec le sourire. C’est dans la souffrance qu’on existe dans le sport, au plus haut niveau. Je suis devenu pilier à l’adolescence parce que j’ai arrêté de grandir pour plutôt m’élargir. C’est venu comme ça, plutôt que par choix. »


Par Cédric ROUQUETTE (L’équipe.fr)


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